Histoire au passé.

- "Elune... quelle épreuve me présentes-tu encore ?"

A l'heure où la douleur de son deuil était encore vive, où son amie de toujours s'engageait auprès d'un autre et où l'engagement dans son clan était menacé... Elune lui fournissait le baume pour soulager les blessures de son coeur.

Ils se ressemblaient. Elle avait en elle la sagesse mais aussi cette âme pétillante qu'on sentait toujours à la limite de poindre derrière le masque rigide de la foi et de la discipline.

Elle lui rappelait sa soeur Maléni.

Il y avait toutefois une différence de taille : Elle souffrait. Et il souffrait pour elle en retour, particulièrement depuis cette scène terrible où elle s'était révélée à lui sous l'emprise totale de ce nouveau pouvoir qui lui faisait perdre ses repères au point de briser sa personnalité.

Il s'était senti... tellement démuni.

Il avait prié, pesté, menacé... Il n'y avait rien eu à faire. Alors, en désespoir de cause, excédé, il avait lancé Echeyakee sur elle, il l'avait même frappée jusqu'à ce qu'elle mette un genou à terre. Il n'en pouvait plus de son arrogance et sa suffisance. Mais même cette ultime tentative s'était révelée vaine. Elle s'était relevée. Et il s'en était voulu. Il en avait ressenti une telle douleur qu'il n'avait pu retenir des larmes de rage et de frustration.

Et puis elle avait repris le dessus, les tempes douloureuses et le coeur battant. Elle était visiblement éprouvée et son regard perdu et douloureux avait achevé de le convaincre de ne pas l'abandonner. Il l'avait serrée contre lui, lui adressant à mi-voix, comme à une enfant, quelques paroles de réconfort en la berçant légèrement.

Le retour jusqu'à la capitale des hommes lui avait paru bien trop long, les murs massifs bien trop agressifs : Une famille de paysans se fit un plaisir de les abriter pour la nuit. Son tabard était connu et ouvrait bien des portes.

Il lui avait offert le refuge de ses bras, la caresse de ses mots. Les seuls bienfaits qu'il se sentait capable de lui fournir en ces temps de trouble pour tous les deux. La chaleur des flammes s'éteignit tard dans la nuit. Ils s'étaient endormis, enlacés, accablés de fatigue et d'émotions...

- "Puis-je vous demander une faveur ?"
- "Bien sûr oui."

A peine avait-il prononcé ces mots que déjà il regrettait de n'avoir pas été plus prudent. Mais allons donc ! Il n'était pas en train de faire oeuvre de diplomatie, il était en train d'organiser le coucher pour la nuit avec celle qui avait à coeur de l'aider à surmonter son chagrin... et qu'il avait plaisir en retour à secourir dans ses troubles étranges qui l'affectaient depuis quelques temps. De toutes façons il n'avait encore dit aucune bêtise : elle pouvait toujours demander !

Elle le contourna, se glissa dans le passage entre les lits pour lui faire face et leva ses yeux de nacre en glissant ses mains dans les siennes. C'était un regard tendre dans lequel il lisait une étonnante forme d'appréhension mais accompagné d'un brillant qui la rendait si séduisante, si fragile, révélant un doux sentiment qui lui arracha d'avance un sourire ému.

- "Je voudrais que vous m'accordiez de m'endormir dans vos bras ce soir avant que vous retourniez dans votre propre couche."

Comment exprimer le ravissement que lui procura cette requête intime par laquelle, un peu, elle lui ouvrait son coeur. Le sien manqua un battement avant qu'une onde rafraichissante ne l'envahisse en une seconde, le laissant palpitant. Il était troublé et ne put masquer dans ses yeux la tendre émotion qu'elle lui procurait.

Mon enchanteresse... je te trahis... Mais mon coeur a besoin de battre. La solitude me pèse tellement et... elle est si... touchante.

- "Je... j'accepte mais... à une condition."
- "Laquelle ?" demanda-t-elle d'une voix un peu trop aigüe pour signifier autant de détachement qu'elle l'aurait sans doute voulu.
- "A condition de... de ne pas vous quitter de la nuit."

Les mains de la prêtresse serrèrent les siennes un peu plus. Son regard lumineux en disait plus long que les mots qu'elle ne prononcerait pas, pas ce soir, pas encore et... peut-être jamais. Elle se contenta de les guider tous deux vers l'écrin de leur sommeil.

Il s'allongea en premier. Elle se glissa à ses côtés, puis vint doucement se blottir dans ses bras tandis qu'il l'enlaçait. L'émotion était vive mais la fatigue du combat et l'heure avancée eurent vite raison de leur émoi. Ils sombrèrent ensemble dans le sommeil, dans le bien-être de la chaleur partagée.

Elle avait peut-être bougé, ou bien c'était lui. Difficile de déterminer précisément ce qui l'avait éveillé. Il n'avait pas envie de se remuer tout de suite, envie de profiter encore un peu de la douce torpeur qui ne le laissait qu'à peine conscient de la présence de celle qui, lentement, prenait de plus en plus de place dans son quotidien.

Les odeurs de la nuit participaient à cette agréable léthargie dans laquelle il se laissait flotter encore un peu. Il se rendit compte qu'il l'enlaçait toujours. Ils n'avaient presque pas bougé, accablés de fatigue. Elle s'était juste un peu tourné sur le ventre et il avait vaguement suivi. Son visage était enfoui dans la tignasse courte, le nez dans la nuque de celle qui partageait ses nuits : il respirait son odeur.

La conscience de son propre corps se précisait. Sa main qui, quelques heures plus tôt, l'avait enlacée étroitement s'égarait maintenant sur la courbure de la hanche. Il la bougea délicatement. Pas de réaction. La respiration de sa douce était calme et légère, régulière. Très doucement il fit glisser ses doigts sur le satin de la chemise de nuit, jouant des plis qui se faisaient et se défaisaient comme autant de vaguelettes sur ce corps aux charmantes proportions.

Il sentait monter en lui une puissante vague qui n'avait pas sa place, animale. C'était bien trop tôt, bien trop rapide. Le souvenir de son enchanteresse était encore si vif... Il avait peur. Une peur nouvelle qu'il n'avait pas encore éprouvée... Il craignait ce fantôme et mesurait un peu mieux l'étendue de sa crainte. Depuis quelques jours déjà il s'était efforcé de ne plus y faire allusion. Elle n'avait pas relevé, par pudeur peut-être ? Sans doute. Fallait-il lui dire ce qui le déchirait, combien il se sentait traitre à un souvenir ? Eprouvait-elle la même chose ? Etait-elle parvenue à se purger de ce malheur qui ronge la vie de ceux qui restent ? Le comprendrait-elle ? La parole pourrait-elle le libérer, les libérer ?

Il pressentait qu'il devrait s'en ouvrir. Elle avait tant de qualités et un coeur si ouvert, si plein de compassion et de compréhension. Plus que ça... elle voudrait probablement le savoir. Elle semblait si désireuse de lui venir en aide. Mais il peinait. Parler de lui ? Il avait toujours soigneusement évité autant que possible.

Ca n'était pas de son aide qu'il voulait. Savait-il seulement lui-même ce dont il avait besoin ? Saurait-il un jour l'identifier ?

Elle était si secrète.

"Elune, Elune,... quelle est cette nouvelle épreuve ?"