Ivresse d'une rencontre.

Il y avait du vent en cet fin d'après-midi, un fort vent de sud-ouest chargé d'humidité, qui venait frapper les puissantes falaises qu'il gravissait lentement. La fôret d'Elwynn et, plus au sud, les marches de l'Ouest, se paraient de couleurs sombres au gré de ce ciel plombé. Plus il s'approchait et mieux il percevait le grondement de la cascade en contrebas. Bientôt des nuages de brume arrachés par les bourrasques vinrent lui cingler le visage. Galisha refusa d'avancer plus près du vide et il dû mettre pied à terre pour approcher de ce tumulus miniature dans lequel était prise une rose, tache de sang prisonnière de la roche brute.

Il s'y attendait.

Et en même temps il n'avait pas osé l'espérer. C'était tellement... magique. Il revenait sur les lieux où il espérait quoi ? Retrouver un peu de cette poussière d'étoiles qui lui avait traversé les yeux, espérant que la queue de cette volupteuse comète ait laissé quelques traces dans le grès ? Il avait touché un instant d'éternité en ces lieux et avait espéré. Il n'était pas déçu : Elle était au-delà de ses espérances, et ça le ravissait.

Lâcher la proie pour l'ombre ? Qui sait ? Elle n'avait pour l'heure rien d'une femme amoureuse, juste d'une femme qui sait ce qu'elle veut et comment le prendre. Il se faisait victime consentante de ces charmes voluptueux. Trop longtemps il avait tout décidé, tout mis en oeuvre et tout construit pour un bonheur commun qui ne reposait que sur lui et des acceptations passives. Cette rose était un symbole : celui d'un renouveau et d'une complicité. Il avait à faire à une égale.

La rose était doucement perlée des embruns qui montaient de la cascade grondante. Du bout des doigts il l'extrait de sa gangue de pierre. Encore un symbole. Mais ce symbole parlait d'avenir et pour l'heure il ne voulait plus penser, juste éprouver. C'est en chassant les pierres amoncellées qu'il découvrit le coin d'un pli. Il ne douta pas un instant qu'il lui était destiné. Il se prit à en humer l'odeur avant de l'ouvrir avec une lenteur qui aurait exaspéré n'importe quel observateur. Il goûtait à ces instants magiques et à l'insupportable torture de l'être qui ne sait s'il faut attendre une caresse ou un coup de fouet.

C'était une caresse. Une caresse d'une douceur infinie qui, une fois de plus, ravit son coeur. Il en ressentait des pointes douloureuses sous l'intensité de l'émotion. Il y serait. Son regard se perdit dans l'immensité de la forêt d'Elwynn qui s'étendait à ses pieds. Il était insensible à l'humidité qui se condensait sur son visage et l'obligeait parfois à ciller. Il rêvait.

Echeyakee le sortit de ses rêveries. L'ambiance humide n'était guère à son goût et son rugissement désapprobateur vint briser l'enchantement dans lequel le barde s'abandonnait. Il sourit en regardant le vieux lion des Tarides. Celui-ci soutint le regard de son maître en penchant la tête au bout d'un instant. "Marches de l'Ouest", il la retrouverait. Pour l'heure il lui fallait retourner au Grand Temple de Darnassus pour exposer le fruit de ses découvertes.

A peine le bateau avait-il quitté les quais de Menethil qu'il se prit de nouveau à rêver, bercé par les vagues et les sifflements des haubans. Si son corps était détendu, son esprit bouillait de sentiments violents et contradictoires qu'il s'évertuait à emprisonner dans des mots pour mieux les maitriser.


Au plus sombre de ma nuit est montée une étoile.
qui pulse doucement d'une lueur sans égale.
Et lentement s'efface le brillant firmament
Estompé par l'éclat de ce tendre diamant.

Le langage est de roses aux délicieux pétales
A l'enivrante fragrance, fragile comme du cristal,
Et les volutes sompteuses de ses mots satinés
Magnifient chaque syllable et me laissent envouté.

"L'Amour est une torture s'il n'est pas partagé"
Ainsi parlait l'Elue que le Destin m'ôta.
Si la sentence est vraie pour l'être dont le coeur bat
Elle l'est autant pour l'autre, traître à l'âme égarée.

Je te tends, chasseresse, le peu dont je dispose.
C'est un coeur palpitant, déchiré, qui propose
Simplement de survivre, d'exister dans tes yeux.

Délicieuse séductrice, tu l'enserres chaque jour
Un peu plus dans tes rets tissés d'étrange amour
Dont il ne s'enfuit plus. Si tu peux, cueilles-le.


La chasseresse le pourrait-elle ? En aurait-elle la volonté ? Avait-il envie de lui insuffler ce désir en risquant de briser les règles tacites de ce jeu des sens qui les emportait tous les deux ? Il lui semblait qu'il était trop tôt. Mais il craignait aussi qu'une forme de peur ne le retienne et ça... il ne voulait plus. Il avait tant à donner qui, jusqu'à maintenant, n'avait fait qu'inonder vainement des terres arides. Il avait tant cru et espéré... Cette Elfe, presque inconnue, lui offrait un temps de repos, une parenthèse librement consentie dans une vie riche d'amour partagé.

Partagé ? Si par partage on entendait "éprouver de part et d'autre", alors oui, il y avait un sincère et profond partage entre sa louve et lui. Mais si on entendait par partage le fait de se nourrir l'un de l'autre, l'un et l'autre... alors il n'y avait rien, ou si peu. Sa louve aimait passivement, avec toute son âme certes, mais elle ne faisait que recevoir, ne donnant que ce qui lui procurait à elle-même du plaisir non par égoïsme, mais par simple manque d'imagination. Jamais elle ne s'aventurait dans ses terrains de chasse que sont ces jeux de séduction et de charme mutuel. Jamais elle ne se risquait à dire les mots variés de la tendresse et de l'amour qu'à l'évidence elle éprouvait pourtant.

Il avait dit à sa promise son besoin de les entendre, à de nombreuses reprises. Elle avait répondu par sa seule présence. Douce présence jamais démentie, d'une fiabilité totale et d'un dévouement sans limites... mais qui pourtant le laissait seul, perdu dans un sinistre paradoxe que parfois la vie vous réserve. Il l'aimait oui, mais il ne parvenait plus à se nourrir de cet amour qui le laissait plus frustré que satisfait sans qu'il puisse formuler le moindre reproche. Il se sentait le pire des traîtres.

C'est dans cet état d'esprit qu'il venait de faire une rencontre. Elle était comme un phare déchirant le brouillard et qui l'étouffait. Il se sentait papillon devant la flamme de cette Elfe au regard de braise et aux lèvres délicates. Elle était flamboyante et joueuse, visiblement désireuse de lui, de son corps et de ses tendres attentions. Mais surtout, au delà de ça, elle était aussi nourricière à l'égard de cet échange fusionnel des corps et des coeurs qui se caressent et s'apprivoisent dans le nid de la confiance mutuelle.

Ils avaient joué avec le "vous" comme avec un voile soyeux qui offre et refuse à la fois l'accès au plus intime, délicieux jeu de masques qui s'interposent en révélant, en magnifiant sous l'effet du désir intensifié les tendres vibrations qui envoûtent l'âme de l'être aimé.

Tout était prétexte à jouer. De cette coupe pleine d'un liquide ambré dont il lui caressait les lèvres en faisant parfois couler un peu de son contenu dans la gorge déliceusement exposée et dévorée de baisers langoureux, jusqu'à ce délacage lascif de sa tenue charmante qui la couvrait juste assez pour stimuler un désir déjà brûlant et dont il avait longuement exploré les contours en la frôlant du bout des doigts. Il lui avait demandé de fermer les yeux et elle s'était abandonnée à cette exigence avec une parfaite confiance et un plaisir évident.

Elle lui avait répondu, et l'avait encore surpris. Se penchant à son oreille qu'elle mordillait en le faisait frissonner, elle lui souffla des mots enchanteurs.

Votre verve éveille en moi un plaisir insoupçonné,
Une indicible tension, agréable à souhait.
Elle me trouble telles vos douces et sages caresses,
Et tendent à me laisser entrapercevoir l’ivresse.

Enchanteur envoûté, ne doutez point de votre existence,
Elle est l’essence même de tendres soirées lascives
Faites de partages, de fusion et d’incandescence
Avec vous impossible de rester passive.

Cueillons ensembles ce délicieux fruit
Laissons nos corps alanguis mener cette danse.
Au rythme irrégulier d’une mélopée de nuit
Laissons les, nous bercer, de ce plaisir intense.

Sa voix était hésitante. Elle souriait en gardant les yeux fermés, cherchant ses mots. Le barde était ému et ses yeux embués témoignaient de l'intensité de ce qu'il éprouvait en cet instant.

La petite chaumière perdue dans les hauteurs des monts de nacre fut l'écrin de leur volupteux envol, âmes enlacées dans une étreinte passionnée ils ne se quittaient plus, se caressaient sans relâche. Il se laissait glisser dans l'intimité offerte de cette femme qui lui abandonnait son corps et profitait du sien sans complexe, s'arrachant mutuellement des gémissements de plaisir dans le secret de leurs souffles partagés. La chaleur de leurs baisers répondait à celle du feu qui jetait sur leurs peaux moites des lueurs incendiaires, vibrant écho à la sensibilité exacerbée de ces intimités qui se donnaient, à ces langues et ces mains qui s'exploraient sans jamais s'arrêter, ignorant tout sauf le plaisir de l'autre pour mieux allumer dans ses yeux où l'on se perd le feu sacré de l'amour partagé.

Ils jouaient, ils se gavaient comme deux affamés, ils se repaissaient de cette tendresse avec l'avidité de ceux qui ont traversé un désert. Et en même temps ils se préservaient l'un et l'autre. Il ne savait quoi en penser pour sa part. Il aurait envie de savoir, plus tard. Il le sentait. Il se connaissait assez pour deviner qu'un jour ou l'autre il en voudrait plus, bien plus, toujours plus. Mais l'avenir était une considération qu'ils repoussaient d'un commun accord, refusant de se livrer comme s'ils craignait de briser la magie de ces instants de fusion passionnelle. Ils s'abandonnaient... et se préservaient en même temps, et la délicieuse tension née de cette incertitude teintait leur plaisir d'une saveur piquante à laquelle, pour l'heure, ils avaient goût.

Gorges des vents brûlants, terre noircie envahie des fumerolles et de poussières, où le sang brûlant de la terre affleure comme autant de sinistres blessures.

Il l'avait quittée au petit matin après avoir remis une bûche dans l'âtre et avoir soigneusement bordé sa cape autour du corps nu qu'il aurait encore voulu embrasser. La peau satinée de son amante accrochait la lueur des flammes sans cesser de l'émouvoir et il dut se faire violence pour la couvrir. Elle était belle dans son sommeil autant que dans l'amour. Elle le savait et en jouait sans retenue, mais pour l'heure elle dormait. Et lui sentait qu'à ce jeu il allait se faire des bleus à l'âme. Pour l'heure il s'enivrait. Au grog de Bruuk l'avant-veille avait succedée cette nuit à la sensualité torride. Est-ce qu'il cherchait à se détruire ? Allait-elle être celle qui provoquerait sa fin ?

Il aurait dû, à ces heures terribles, s'en remettre à sa Nilianée. Mais elle avait tellement changé. Il n'y avait probablement pas lieu de s'en inquiéter : elle était humaine et les humaines, comme leurs mâles, changeaient vite. Elle était irritée contre lui, sans doute pour avoir senti sa dérive. Il l'interprétait comme une marque de désapprobation. Sa Nilianée appréciait sa promise et lui avait déjà fait savoir. Il se sentait perdu.