Etrange regard

Stormwind.Une nuit d'hiver sans Lune et pour seule compagne cette maudite pluie fine qui vous transperce les chairs et vous glace sang et os. Sa capuche redressée, pour protéger son visage des morsures du froid et de la pluie, elle avance d'un pas rapide mais lourd. Ses bottes de cuir, trempées, martèlent les pavés. Mais c'est volontaire. Elle indique par la même sa présence, et se fait passer pour une simple humaine. De toute façon, elle est trop éreintée pour garder sa gestuelle habituelle, ses muscles la tiraillent.
Sa destination est en vue, malgré sa lenteur inhabituelle. La porte est toujours grande ouverte...comme toujours. L'Auberge le "Cochon siffleur".
Depuis peu, elle y a installé ses pénates. Des changements dans sa vie l'ont incité à le faire.
Elle gravit les quelques marches et entre dans la taverne, à cette heure, déserte. Reese est encore debout, même si ses derniers clients cuvent déjà quelque part en ville. Il s'acharne à laver une chope récalcitrante.
En voyant entrer la silhouette capuchonnée, il lève un regard suspiscieux, pour aussitôt le baisser quand Scylla révèle son identité. Elle le salue de la tête, idem pour lui. A cette heure pas besoin de mots. Tout est dans le regard. Elle tente scruter la salle, comme avertit par son moi intérieur d'une présence. Trop de flemme. Pas envie de percer ces zones d'ombres. Comme si une tierce volonté l'incitait à ne pas perdre son temps. Elle se dirige vers le comptoir, tire vers elle, du pied, un tabouret et grimpe dessus. Le Tavernier, aussitôt, lui sert un plat de viande: un ragoût de viande de sanglier, le tout accompagné d'un verre d'une liqueur exotique, et surtout, une lettre. Scylla lui lance un regard, il ne fait qu'hausser les épaules. Entre deux bouchées, elle décachete la lettre et la parcourt rapidement avant de la jeter sur le comptoir.
- Encore un ordre de mission! et en plus il conviendrait mieux à un novice.
- Ah?
Reese a reconnu le cachet et par expérience sait qu'on ne peut passer outre ces ordres.
- Syl tu devrais quand même effectuer cet ordre. Ta mère, Dame...
Scylla lève la main tant pour le couper avant qu'il ne prononce le nom que pour se concentrer.
Quelque chose cloche, son Autre Moi a sentit une présence, là où ses instincts avaient été endormis.
Elle "laisse place à sa Nature", qui aussitôt hume l'air, et ce malgré toutes les odeurs d'alcool et de fumées . Une odeur végétale. La Nature. Comme l'odeur d'un arbre sous la rosée matinale. Cette odeur tranche net avec les autres, plus habituelles de la taverne. Son regard se dirige instantanément vers un coin de la pièce, sous l'escalier. Une petite zone d'ombre. Son ouïe lui indique quelques grattements, un craquement puis un grésillement. Aussitôt elle aperçoit un petit point rouge. Une nouvelle odeur. Scylla analyse: une allumette craquée puis une pipe allumée, mais les grattements?...

Les grattements? aucune idée. Elle tend l'oreille mais rien. Elle se lève et se dirige vers le point rouge de la pipe. En chemin , une nouvelle sensation l'assaille.Danger! Elle ralentit un peu, mais ne cesse de fixer l'Etranger, tout du moins sa silhouette. Scylla hésite à laisser libre cours à l'Appel. Certes le Félin verrait parfaitement sa proie...non,la silhouette. Mais son goût du sang pourrait le faire attaquer un innocent. De plus elle doit rester Elfe pour communiquer et le cas échéant incanter.
Au fur et à mesure de ses pas, l'ombre se dévoile, les grattements accélèrent.
Encore quelques pas...

Encore quelques pas, et elle est devant la personne. Un homme. A première vue âgé, mais quelque chose dans ses yeux dément son âge apparent. Il est vieux, trop vieux pour un humain.
Et paradoxalement, une vitalité certaine émane de lui. D'abord sur la défensive, Scylla le reconnait enfin. Le vieil Ermite. Les grattements? son fusain sur le papier. Scylla acheve de le rejoindre. Il sourit en la regardant faire. Sa main continue pour autant à remplir les espaces de la feuille.
Scylla le regarde faire, étonnée, puis aperçoit quelques feuilles et parchemins posés négligeamment sur la table. Tous portant une esquisse.
Scylla regarde le dessin naître sous la main experte et agile. Ce qui,aux premiers abords, semble être flou, grossier dans son ensemble laisse paraître des détails qui donnent vie et âme au dessin. Scylla recule. C'est elle! Là sur le papier. Habillée comme en l'instant. Dévorant son repas face à Reese...face. Comment a-t-il fait?
Son regard se porte sur les autres dessins. Elle, toujours elle. Le thème des dessins: c'est Scylla.
Cette dernière tend la main, l'Ermite sourit et lui tend les autres dessins.
Scylla blêmit. Ils representent tous sa vie et ce à des moments différents de son existence,certains remontant à sa petite enfance.

Deux l'intriguent. Le premier ne la représente pas mais elle sait que cela la concerne.Une sorte de terrier. Le deuxième la représente mais la situation ne correspond à aucun moment de sa vie passée. Elle comprend sans en saisir le sens et avant qu'elle ne puisse trouver de réponse, l'Ermite lui reprend. Tout sourire, mais secouant la tête. Ses yeux parlent pour lui:"Pas maintenant. Tu sauras un jour"
Un troisième dessin lui apporte une sensation toute autre. Sa Mère. Scylla sent le Félin rugir en elle. Ses ongles se transforment en griffes et elles déchirent le dessin pour le mettre en lambeaux. Aucune réaction de la part de l'Ermite qui continue de sourire. Comme s'il avait escompté cette réaction.
Un Quatrième dessin finit d'achever Scylla. Elle, bébé, et son Père. Oui, son père! Les larmes coulent sur ses joues. Celle de l'Elfe mais aussi celle du Félin.Comment sait il tout ça sur moi?
Scylla regarde l'Ermite, qui lui aussi semble triste. Il lui désigne du menton le dessin, et lui fait signe qu'elle peut le garder. Scylla, ravie, lui saute au cou pour l'enlacer. Là aussi l'Elfe et le Félin sont en harmonie.
Scylla pose de nouveau un regard d'ensemble, tout en rangeant le précieux cadeau. Et de nouveau son coeur vacille. Elle vient de remarquer quelque chose! Elle prend tous les dessins à savoir plus d'une dizaine...

Elle examine sur chaque représentation de sa personne, son visage. Et plus particulièrement ses yeux. Le choc. Sur tous les dessins, Scylla n'avait pas ses yeux. Tout du moins pas ceux de l'Elfe...mais ceux du Félin.
Tous...Elle fouille dans ses poches, affolée, perdue dans ses pensées.Ce n'est pas possible! Non, ce n'est...Mais qui est-il? Comment? Qui es-tu vieil Ermite? Cette dernière pensée la ramène à la réalité. Vide, la table à l'instant occupée par les esquisses est vide. Plus aucune trace des dessins. Ni de son occupant. Scylla se retourne vers Reese, celui-ci hausse les épaules. Comme à son habitude.
Scylla regarde hébétée sa main avant de réaliser qu'elle tient le cadeau de l'Ermite. Le dessin cher à son coeur à l'instant même où elle l'a vu. Elle, bébé, et son Père.
Elle examine le dessin. Regarde son visage. Ses yeux. Contrairement aux autres, elle avait ses yeux d'Elfe.
...Et pour cause...