Elle avait prononcé les paroles les plus dures qui soient, celles qui détruisent, celles qui attaquent les fondations. Elle savait y faire, elle était fine, intelligente. Même avinée, peut-être même plus encore grâce à ça, elle avait cette verve qui impose le silence.
Et, pire que tout, elle n'avait pas tort.
Elle n'avait pas raison non plus, elle exposait son point de vue sans plus chercher vraiment à comprendre, hurlant sa douleur en l'habillant de mots. Il la respectait pour ça, pour, finalement, cette forme de modération. Elle avait trouvé dans l'alcool la force de lui dire ce que, sans doute, elle n'aurait pas osé dire en temps normal, se renfermant sur sa douleur.
Au moins ce soir elle s'était exprimé, et même si elle avait cherché à tout casser autour d'eux et à réduire à peau de chagrin la beauté de ce qui les unissait, elle ne pouvait réussir. Il l'aimait comme une soeur et ce lien n'était ni discutable, ni destructible. Son aimée elle-même en reconnaissait la force et n'avait aucunement cherché à le remettre en question.
Ils ne seraient plus amants. C'est ça qui, pour elle, avait sonné comme un glas de leur relation. Ainsi donc c'était à ça qu'elle semblait réduire ce qui les unissait, considérant que sans celà, ils n'étaient plus rien ? Il ne parvenait pas à y croire. Elle avait été son amie, puis sa soeur de coeur. Et chemin faisant dans le secret de leurs âmes, ils s'étaient révélés et s'étaient aimés. Et le jour où ceci devait cesser, elle semblait considérer que plus rien ne comptait de leur passé, qu'il n'était pas possible de faire un pas en arrière sans devoir tout effacer.
Maudit alcool qui lui rendait le jugement si emporté, comment pouvait-elle penser ainsi ? Elle mettait ça sur le compte du fait qu'il soit Elfe, comme si çà le rendait incapable de comprendre la douleur ponctuelle induite par ce renoncement. Car c'était bien de celà qu'il s'agissait à ses yeux d'Elfe : un renoncement tellement relatif au regard de ce qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre. Que valait le fait de renoncer à des échanges de gestes quand les coeurs battent à l'unisson ?
Il avait beau jeu de penser ça, lui qui venait de fonder un amour nouveau et lumineux dont il escomptait faire quelque chose de beau et grand. Mais de son côté, elle n'était pas dépourvu d'amoureux non plus qui, croyait-il savoir, se languissait de sa présence. Elle lui avait dit, ce soir, comme sa perception était fausse, que son soit-disant amoureux n'en était plus un depuis quelques semaines. Elle l'avait même pratiquement accusé de n'avoir pas voulu le savoir...
Soir de chagrin. Et pourtant, au moment d'aller se coucher, elle ne l'avait pas repoussé, elle lui avait fait une place à ses côtés. Et il avait accepté, il l'avait serrée contre lui et elle s'était endormie comme si souvent, non pas en amante mais en complice. Sa petite soeur dérivait dans ses bras emportée par le sommeil, et il veilla un instant sur elle avant de rejoindre son foyer qui, désormais, n'était plus vide.
Pourquoi fallait-il que son bonheur intense d'avoir, peut-être, trouvée celle qu'il cherchait, soit terni par ce goût amer. Il ne perdrait pas sa renarde, il n'en était pas question. Quand bien même elle le fuierait, il ne pourrait reprendre la place qu'il lui avait accordée. Elle était d'abord et avant tout sa soeur de coeur, et elle le resterait, quitte à ce qu'il ne soit plus rien pour elle.
Ce n'est qu'en empruntant la passerelle qui desservait leur foyer que ces sombres pensées, enfin, se dissipèrent. La vision de son aimée endormie souriante dans la sécurité de leur demeure acheva de relativiser sa douleur. Oublieux des formules blessantes, il se résolut à ne penser qu'à l'Amour qu'il éprouvait pour ses proches. Cet Amour il le nourirrait, pour leur plus grand bénéfice, de l'union dont ce soir les bases avaient été jetées. Il les aimeraient, tous, à commencer par celle qu'il caressait amoureusement du regard, craignant de l'éveiller, celle qui était la source qui rendait tout possible.