Un cas difficile.

Torkun lit la note officielle d'Enroth, puis celle de Dame Tristrania, refléchit deux à trois secondes puis reprend son chemin en grommelant.

- "Rondudjuu ! je savais bien qu'il y avait un ours dans la mare ! Je l'avais dit ! mais évidement qui c'est le dernier informé ? moi ! Grmlrondudjududjuu..."

D'un pas un peu hésitant le barde de LunArgent pénètre dans la maison de guilde. Il cherche plus particulièrement celui qui s'était présenté à lui comme le Commandeur quelques jours plus tôt, l'humain qui, probablement, a reçu en mains propres la démission de celle qui a tant de valeur à ses yeux. Mais en vérité son message est pour tous les enfants de sa bien-aimée.

D'un regard il signifie à ses familiers que leur présence est indésirable, au moins dans l'immédiat, et quoi qu'en disent les odeurs multiples qui signifient bien que les animaux sont ici considérés comme des amis. Sans même avoir l'idée de ronchonner, le vieil Echeyakee va trouver au bas du mur extérieur la chaleur qui le plonge dans une douce torpeur. Galisha, plus vive et bien plus jeune, suit néanmoins l'exemple mais non sans surveiller son maître, les sens en alerte et prête à se jeter dans ses jambes au moindre appel.

- "Bonjour à tous, permettez-moi de me présenter pour ceux qui ne me connaissent pas encore : on m'appelle CrileLoup et je suis le barde de LunArgent. Je viens vous trouver car je dois vous informer de choses que, peut-être, vous ignorez, et vous présenter une requête au nom de celle qui fuit, qui doute, mais dont pourtant le coeur est tout acquis au service de votre cause."

D'une voix aux accents de gravité marqués, le barde s'adresse au Nain qu'il croit reconnaître :

"Messire Torkun, je suis heureux de vous voir. Je viens vous parler de dame Tristrania. Puis-je parler ici et maintenant ? Mes propos ne réclament nul secret, bien au contraire."

- "Messire CrileLoup ! quelle surprise !"

"Des nouvelles de dame Tristrania dites-vous ? Et bien asseyez-vous mon garçon, je vous apporte une bière de ma cuvée personnelle, vous m'en direz des nouvelles !"

Torkun descend un escalier rapidement, puis remonte trente secondes plus tard avec deux chopes contenant une bière prometteuse.

"Alors ! je vous écoute, j'espère que rien de grave n'est arrivé a notre chere amie !"

Soulagé d'être aussi bien accueilli le barde se détend. La mousse fine qui recouvre le breuvage achève de le réconforter et c'est un regard à la fois ennuyé et sincère qui se plonge dans celui du Nain.

- "Et bien... en vérité les nouvelles ne sont pas bonnes. Dame Tristrania souffre d'un mal qui casse sa personnalité en deux. Vous connaissez sa rigueur personnelle et son refus d'adresser à ses enfants autre chose que son amour... Mais elle reste une personne avec ses envies, ses désirs, ses angoisses aussi... Et tout ce qu'elle a refoulé trop longtemps dans le but de mieux servir... se réveille aujourd'hui dans sa forme d'ombre."

Une pause... Quel goût a le breuvage ? Il ne pense même plus à goûter. Son regard terni cherche dans les yeux du Nain une lueur de compréhension, une invitation à poursuivre.

"Si je viens vous raconter tout ça aujourd'hui, ce n'est pas pour la faire plaindre ou gémir sur son sort.
Elle a besoin de l'aide de ses enfants.
De tous ses enfants.
Elle a besoin de... se réconcilier avec tout ce qu'elle a dû mettre de côté, de réintégrer ses ombres et non pas de les rejetter. Car c'est ça qui provoque cette rupture dans son esprit. J'en ai la conviction."

Un peu de mouvement autour, mais il ne voit plus rien. Il ne connait plus que le regard de son interlocuteur dans lequel il cherche désespérément à s'accrocher, à trouver une raison d'espérer. Va-t-il comprendre ? En tous cas... il écoute.

"Elle a demandé son départ. Mais... je sais combien elle tient à vous tous et je pense que c'est surtout d'une suspension qu'elle a besoin. C'est du temps qu'il lui faut avant tout. Du temps et des amis sincères et généreux."

"Voilà... Je sais que ma demande est brouillonne et mal habile. Ne... ne vous arrêtez pas à mes mots. Pour être totalement sincère avec vous, et comme vous vous en doutez probablement... elle n'est pas n'importe qui pour moi. Et je suis un peu en désespoir de trouver seul une solution à ses maux."

"Merci de m'avoir écouté maître Torkun. Merci beaucoup."

Sur ces mots le barde finit sa chope.

"Je... je suis en quête d'un endroit pour passer la nuit. Est-ce que... c'est possible ici ? Je paierais ce qu'il faut bien entendu."

Enroth ayant entendu la fin de conversation, et avant même que Sir Torkun, l'esprit imbibé de mousse naine à son habitude, put répondre d'une voix forte et chaleureuse passant à travers la porte de son bureau.

- "Allons Allons Crileloup, vous êtes bien entendu ici chez vous, prenez la chambre d'amis et ne nous insultez pas, ne parlez pas d'argent."

C'est en plein discours de Crileloup, la soirée s'étant bien installée sur la cité humaine que la naine pousse la porte.
La mine un peu fermée, elle s'avance en silence, remarquant l'elfe aux cheveux vert qu'elle a déjà croisé parfois.

De l'extérieur parviennent des grondements sourds qui s'atténuent dès qu'Indhil referme la porte.

Elle adresse un sourire sincèrement fatigué à l'intendant, qui la regarde entrer d'un air légèrement contrarié.

Ca fait bien plus d'un mois qu'elle n'est pas revenue s'installer dans la salle commune. La rancune des naines est tenace, la sienne envers son maitre de guilde ne s'estompera pas de sitot.

La salle va sans doute se remplir, en attendant, Indhil s'installe à une table vide.

Crileloup, qui s'était arrêté un moment, reprend la parole.

"Si je viens vous raconter tout ça aujourd'hui, ce n'est pas pour la faire plaindre ou gémir sur son sort.
Elle a besoin de l'aide de ses enfants.
De tous ses enfants.
Elle a besoin de... se réconcilier avec tout ce qu'elle a dû mettre de côté, de réintégrer ses ombres et non pas de les rejetter. Car c'est ça qui provoque cette rupture dans son esprit. J'en ai la conviction."

Indhil écoute, mais d'une oreille.

Décidément ces elfes...

Elle soupire, comme son apprentie lui manque... et Marianna, une gamine prometteuse elle aussi.
La jeune naine croise les bras sur sa table pour appuyer sa tête dessus, laissant courir ses pensées. Et Oklair... l'avait pas l'air bien lui, d'autant qu'il... parlait de manger du loup... La naine frémit à cette idée.

M'enfin, pas pire que l'commandeur qui voulait trancher Chaussette... d'ailleur, l'est où c'vieux filou?

Son regard se tourne presque naturellement vers la remise, mais non, il n'est pas rentré, il est resté...

...dehors?

Voilà qui est curieux...

D'ailleur, il grondait un peu si j'me souviens bien...

Une ride d'inquiètude plisse le front de la naine, elle connait trop son loup, il se passe quelque chose. Juste à ce moment, un hurlement de douleur et de surprise résonne depuis l'extérieur.
L'elfe stoppe son récit, tandis que la naine se précipite en hurlant en appellant, inquiète :

"Chaussette !"

Elle ouvre la porte avec fracas, n'entend pas le grognement mécontant de Torkun, ni son avis sur son loup, elle a déjà sa hache gigantesque à la main et s'arrète sur la pas de la porte.
Chaussette est là, le dos rond, les poils hérissés, les babines retroussées sur ses crocs, un grondement qui s'emplifie comme sortant de tout son être.
Indhil remarque immédiatement: quatre sillons sanguinolants balafrent la tête du vieux loup.

Mais qui a bien pu ?!

Ca y est, elle distingue la coupable. Devant Chaussette, une forme noire se replie pour sauter de nouveau sur le loup qui ne l'a toujours pas vue. Indhil se précipite vers la bête, la hache qu'elle tient d'une main rasant le sol, le regard furieux.
A cet instant, loup et naine ne semblent faire qu'un, on croirait la naine ressentir la souffrance de son loup, ressentir le besoin de protèger sa meute. En quelques pas elle est devant le loup, le fauve immobile est presque invisible, la hache est toujours au sol, naine et loups dévoilent leurs dents, grondant pour intimider. Tandis que les deux bêtes se replient pour mieux s'élancer, la naine tend la main et prononce le mot chargé de magie que connaissent tous les chasseurs: le mot qui fait fuir.

La panthère détale. Mais Indhil s'est retournée sans s'en assurer, ce sont des larmes qu'on peut distinguer dans ses yeux tandis qu'elle force avec douceur son loup à lui montrer ses plaies. Et tandis que Crileloup apparait enfin à la porte, elle lui lance un regard mêlant à la fois reproche et douleur intense, un regard que seul un chasseur peut comprendre, puis elle retourne vers son vieux loup.

Râââ la teigne ! Mais qu'est-ce qui lui prenait ??

Avant même qu'il ne franchisse le seuil il avait reconnu le feulement sauvage. Pourtant c'était vraiment une crême sa Galisha... mais sans doute bien trop joueuse pour le vieux loup qu'il avait sous les yeux et dont les chairs lacérées saignaient d'abondance quoique sans caractère de gravité.

Mmmh... le temps d'arranger ça... il n'était probablement pas urgent de courir après la bête apeurée et de révéler qui en était le propriétaire. Les Nains avaient l'amitié au moins aussi tenace que la rancune et cette Naine dont il avait évité qu'elle se fracasse la tête en chutant d'une mezzanine n'avait pas besoin d'apprendre tout de suite la vérité.

- "Il va mourir, j'en ai peur... " commença le barde sur un ton faussement sérieux. "D'ailleurs... "

- "COOOMMENT CA MOURIR ? T'y connais rien !" l'interrompit la Naine, affichant une fausse colère pour cacher sa crainte.

D'un geste calme, sentant sur lui le regard glacial et suspicieux de la maîtresse, il passa la main sur le museau et les bas-joues mises à mal. Le loup grondait mais acceptait le traitement. La chair, délicatement, cicatrisait. C'est à ce moment que le barde faillit être projeté en arrière, agrippé au collet par une masse solidement ancrée au sol.

- "Touches pas ! J'te dis qu't'y connais rien !" éructa-t-elle d'une voix dans laquelle l'oreille exercée décelait le doute, la colère et un rien de reconnaissance.

Il s'écarta bien vite pour laisser la jeune dame serrer dans ses bras sa pauvre bête qui lui adressait un regard éperdu de tendresse. L'animal reçut avec bonheur la fin du traitement salvateur de babine à franges.

- "J'avoue... je ne suis pas couturier au point de repriser un Chaussette troué. Mais on dirait que ça fait effet un peu quand même non ?"

Il se massait la nuque avec un sourire en coin un peu gêné, vaguement timide mais pas mécontent de ses soins. La Naine lui jeta un regard... indescriptible. Un espèce de mi-chemin entre le noir et la reconnaissance contrite... vraiment étrange et presque comique. Puis le naturel grognon refit surface sous la pression du loup qui se prit bien vite à gémir comme une bête souffreteuse. "Non mais oh ! C'est moi la victime" semblait-il rappeler.

"Si j'choppe le maître de la saleté d'félin qui s'en est pris à mon Chaussette... j'vous jure qu'j'lui taille les oreilles en pointe !"

- "Je ne pense pas que ça soit utile, elles le sont déjà bien assez." reprit le barde avec un large sourire. Il se releva tout en adressant une dernière caresse au canidé qui tentait hypocritement d'inonder le visage de sa maîtresse pour se la mettre dans la poche... comme si ce n'était pas acquis d'avance. Il prit une seconde pour se laisser toucher par cette scène intime. Ils étaient... émouvants oui. Le sourire du barde n'était ni feint ni moqueur.

Galisha répondit bien vite à l'appel de son maître mais sans renoncer à jouer avec les ombres. Elle frémissait encore en s'approchant de celle qui lui avait flanqué LA trouille de sa vie de félin.

- "Gali... excuses-toi maintenant ! Allez !"

La tête basse et l'air profondément dépité du félin faillit faire mourir de rire son maître qui lui découvrait un nouveau talent de comédienne. Elle tenta de glisser son museau sous le bras d'une Naine qui la toisa un instant sans se laisser abuser par son camouflage.


Le long de son mur encore tiède malgré l'heure avancée, Echeyakee, le lion des Tarides, avait suivi la scène avec un détachement qui n'avait d'égal que sa placidité. Il n'était pas né le loup qui lui ferait sortir une griffe. Ni ce soir, ni un autre soir, ni un matin, ni le ventre vide, ni le ventre plein, ni... Pffffiou... ces considérations le fatiguaient. Il n'était pas né quoi.

"Gali... excuses-toi maintenant ! Allez !"

La tête basse et l'air profondément dépité du félin faillit faire mourir de rire son maître qui lui découvrait un nouveau talent de comédienne. Elle tenta de glisser son museau sous le bras d'une Naine qui la toisa un instant sans se laisser abuser par son camouflage.

Son regard n'avait rien de sympathique et le fauve comprit aussitot son numéro de comédienne n'attendrirait pas Indhil. Elle chercha bien vite le refuge de son maitre.

Indhil se lève enfin, le loup en fait de même. L'un de ses deux yeux est encore à demi fermé, l'avenir le laissera peut-être vide. Une main posée sur les épaule de son loup, Indhil toise l'elfe aux cheveux vert... et se détourne, à quoi bon l'accuser, c'est Chaussette qui se fait vieux.

Le soleil s'est à présent couché, nombreux sont peut-être ceux de la guilde à avoir assisté à la scène, Indhil n'en a cure. Encore une fois elle se sent "naine", "petite et grosse" comme ils disent tous. Et voilà que désormais son loup n'est plus en sécurité au sein de la maison de guilde... déjà qu'avec Enroth...

"On dormira ailleur ce soir mon beau..."



Les vrais amis sont les solitaires ensembles...

- "Attendez dame..."

"A défaut des excuses de la coupable, acceptez au moins celle de son maître. Je suis sincèrement navré de ce qui a pu se produire et je m'en voudrais que vous repartiez à cause de cet événement alors que vous aviez vraisemblablement choisi de séjourner ici."

Le barde a perdu sa prestance... son regard n'est ni brillant ni joyeux. Et s'il est désolé, ça ne s'explique que difficilement par ce seul événement.

"Je vous en prie."