- "NOOOOOOOOOOON !!!"
Il se réveilla d'un bond, en sueur, tout habillé. Le cauchemar encore au bord des lèvres il se sentait l'envie de vomir. Il s'était endormi sur la table, attendant sa compagne qui devait revenir très tôt le matin d'une chasse de nuit.
Déjà le souvenir de son cauchemar s'enfuyait. Il n'en gardait que l'image floue d'un visage, de profil, les traits détirés dans un rictus macabre : celui de sa bien-aimée qui aurait franchi les portes de la mort.
- "Y a quelqu'un ?" cria une voix féminine en tambourinant à la porte.
Il se figea : c'était probablement ça qui l'avait éveillé. Il allait la bénir pour l'avoir sorti de ce cauchemar affreux qui le laissait encore tremblant et pas très fier sur ses jambes.
Il tâtonna dans l'obscurité, se dirigeant vers la porte pour l'ouvrir. La mi-nuit était passée de peu.
- "C'est à quel sujet ?" s'enquit-il, intrigué.
- "Vous êtes CrileLoup ?"
- "C'est bien comme ça qu'on m'appelle oui. Mais... pourquoi est-ce que vous me cherchez ?"
- "Messire, vous êtes mandé à l'hôpital de toute urgence. Je ne peux rien ajouter. Je vous en prie."
Un sourd malaise lui tombe sur le coeur. Il en sent la poigne glaciale qui l'étreint de plus en plus étroitement. Ses appels sur le cristal restaient sans réponse...
La suite n'est qu'une succession d'images confuses. En quelques gestes machinaux il rassure ses familiers intrigués par l'intervention nocturne, s'empare d'un sac et verrouille la porte.
Pourquoi a-t-il cette impression de refermer le couvercle d'un tombeau ?
La jeune femme le précède mais il ne la voit presque plus. Il est dans un brouillard, nauséeux, presque malade. Il se sent des sueurs froides tous les vingt pas et c'est avec l'estomac retourné qu'il franchit comme un automate le seuil de l'établissement.
Il y a du monde, beaucoup de monde. L'alerte médicale est à son paroxysme. La Peste est en ville et les malades s'entassent de tous côtés au milieu des cris, des pleurs et des plaintes. La jeune femme du début lui indique une soignante à qui il se présente d'une voix blanche. Le regard de cette dame sur lui n'a rien pour le rassurer. Elle se lève, s'approche avec un regard dans lequel la compassion l'atteint comme une banderille supplémentaire.
- "Suivez-moi" sont ses seuls mots.
Un corps, recouvert d'un drap blanc.
De ce corps il ne reconnait encore rien, mais ce qu'il voit à côté le cloue de terreur : Sig est là, le regard vide, au pied d'un lit de campagne recouvert d'un lin blanc... un linceul.
En voyant l'animal... il a compris.
D'abord il n'a pas de réaction. Il est frappé d'une stupeur et d'un vide sans nom qui lui interdit tout mouvement, même de l'âme. Et puis, lentement, afflue une émotion tranchante comme un rasoir, lacérante comme un coutelas et déchirante comme un fouet...
Il a l'impression de mourir.
La suite... il ne s'en souvient qu'à peine.
Le drap qui se soulève. La femme qui lui demande d'une voix triste s'il reconnait le corps... A peine en vérité. C'est celui de son cauchemar. Bien sûr qu'il le reconnait, mais plus aucun son ne sort de sa bouche. Est-ce que cette réaction a servi de réponse, il ne sait plus. Tout ce qu'il sait c'est qu'il est reparti avec Sig et des effets personnels bien trop familiers... tout ce qui lui restait...
- "On a fait tout ce qu'on a pu." avait-elle ajouté. "Elle a franchi les portes de la ville déjà mourante. Elle n'a pu que citer votre nom."
Le chagrin ne le rattrapa qu'au retour dans son foyer, l'emportant comme un terrible raz-de-marée qui lui laissait l'âme fracassée contre les récifs du réel. Morte... elle était morte.
Il voudrait mourir aussi.